Russie
Les Russes. Les Néandertaliens ont disparu. On ne sait pas trop pourquoi, malgré tous ces chercheurs « paléoanthropologues » que nos universités payent à cet effet. Et maintenant les Russes sont eux aussi en voie de disparition. Mais, eux, on sait pourquoi. Les Russes… une grande civilisation, une grande culture. Tolstoï, Dostoïevski, Gogol, Pasternak et tant d’autres. Après avoir relié la Baltique à la Mer Noire, s’être défendus contre tous ces peuples venus de l’Est, ils sont partis à la conquête de cet Est, ont traversé les Monts Oural, toute la forêt sibérienne traversant fuseaux horaires après fuseaux horaires jusqu’à l’Océan Pacifique, une conquête que même Alexandre n’aurait jamais osé envisager. Et ils y sont restés, créant ainsi, et de beaucoup, l’empire le plus étendu de cette planète. Je sais, je sais, terre froide, peu peuplée, souvent gelée, mais terre quand même, dont les richesses enfin reconnues font de ce rat de Poutine l’un des hommes les plus puissants du monde. Michel Strogoff, le transsibérien m’a fait rêver toute mon enfance. Le transsibérien, j’en avais sacrément envie, mais mon patron n’a jamais voulu : « Jeune loup, vous n’allez pas perdre une semaine à regarder défiler des bouleaux ! » Et maintenant je suis trop vieux. 1917. Fini les tsars. L’Union Soviétique devient l’espoir de tous les prolétaires et tous les déshérités de la terre. Mais le paradis tourne vite au cauchemar. Et Hitler fait l’erreur de s’attaquer à un pays qui a des milliers de kilomètres de profondeur. Stalingrad : tombeau du nazisme, pourtant bâti pour mille ans . Et en 1945, l’URSS devient une superpuissance, fière de ses satellites qui font bipbipbip et de ses sous-marins nucléaires en titane. Trente cinq pour cent des Français ne jurent que par Moscou et les petites filles d’Aubervilliers tricotent des pulls et des cache-nez pour l’oncle Jo. Tous les intellectuels de France vouent au pilori qui oserait critiquer la grande, la glorieuse Union Soviétique. Et le monde bénéficie de cinquante ans de paix : l’équilibre de la dissuasion, ça marche, et ça a merveilleusement marché. 1989. Les mathématiciens nous le disaient : un simple vol de papillon à Rio de Janeiro peut déchaîner tempêtes et tsunamis à l’autre bout de la planète. On avait quand même un peu de mal à les croire. Ce jour de l’été 1989 ,on avait laissé, par négligence ,volontaire peut-être, ouvert le passage entre l’est et l’ouest sur l’autoroute Budapest-Vienne. Les vacanciers est-allemands qui profitaient de leurs congés pour découvrir le « communisme du goulasch » se sont précipités avec leurs Trabants par le passage, envahissant l’Autriche sans projets de retour . Quand la porte se referma, ils envahirent les consulats d’Allemagne de l’Ouest en Tchécoslovaquie qui débordèrent. Le pli était pris. Et quand Berlin-Ouest offrit dix deutschmarks aux visiteurs d’un jour pour qu’ils puissent s’acheter des bananes, fruit mythique dont rêvaient sans espoir des centaines de millions de socialistes , LES MURAILLES TOMBERENT comme à Jéricho. A Noël tout était fini . Quatorze républiques socialistes soviétiques sur quinze réclamèrent et proclamèrent leur indépendance . Et la quinzième, la Russie , en fit A l’Union Soviétique de 285 millions d’habitants succédait une Russie de 143 millions : juste la moitié. Faute de pièces de rechange, on laissait pourrir les beaux sous-marins nucléaires en titane à Mourmansk et à Vladivostok . La Russie n’avait plus un kopeck , les hôtels cinq étoiles n’avaient plus de papier hygiénique, même la belle usine que je leur avait vendue allait s’arrêter faute de maintenance comme tant d’autres. Imbibés de vodka , les Russes meurent de plus en plus jeunes : l’espérance de vie serait tombée à 57 ans . Avantage : contrairement à General Motors, il n’y aura du coup guère de retraites à payer . Et la population ne cesse de diminuer à l’allure grand V. Mais le vrai drame est ailleurs : les jeunes femmes russes, libérées, habillées à la mode de Elle version russe, saturées de séries télé américaines, n’enfantent plus. D’ici quelques années, il n’y aura plus personne pour pleurer sur leurs tombes ni même pour les enterrer. Je le dit souvent : la démographie est une science implacable. Et voici pourquoi, comme les Néandertaliens, les Russes vont rejoindre les Fuégiens, les Tasmaniens et le dodo, cet oiseau de l’île Maurice, dans la catégorie des espèces disparues. C’était l’histoire de la Russie, racontée en une page et demie par un vieux monsieur.